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BOLOGNA FERROVIA 24 5 93 11-S
Monsieur Gust Vermeylen
81 Rue Pachéco,
Bruxelles.
Belgio.
BRUXELLES 1 26 MAI 1893 10-M
 
Cher Gust,
Le supplice des lourdes chaleurs a recommencé: et avec elles les digestions pénibles, les accablantes somnolences, tout l'ennui de l'inaction forcée, d'un agacement perpétuel, du dégoût physique de toute chose-Réellement, si c'était possible il vaudrait mieux ici veiller la nuit & dormir le jour: ce n'est que vers 7 ou 8 heures du soir qu'on se ranime. Les nuits — quand il n'y a pas d'orage, s'entend — sont superbes: les rochers, les montagnes prennent un aspect étrange, une demi clarté règne — des lueurs d'étoiles, d'incertains reflets —, la terre blanche émane lentement la chaleur emmagasinée durant le jour.
Dès que la nuit tombe des insectes lumineux volent au-dessus des champs: c'est un spectacle extraordinaire de les voir passer, s'agiter, se croiser, décrire des trajectoires qui s'entremêlent: on dirait un fourmillement d'étincelles. On entend le cri des grillons, des chants d'oiseaux nocturnes, mille bruits incertains auxquels se mêle la voix des femmes qui passent.
Malgré la chaleur les théâtres continuent à fonctionner. J'ai été voir hier les "Pagliacci" un opéra del maestro Leoncavallo, émule du sieur Mascagni. On ne m'y reprendra plus à aller entendre de la musique italienne. J'aimais encore mieux le Verdi: c'est au moins plus personnel. Le dit Leoncavallo ne s'est pas contenté de s'inspirer de temps à autre de Wagner, il en a copié littéralement des phrases entières. Mais le malheur est que ces phrases très bien à [2] leur place quand il s'agit de héros, de dieux, de grandes actions légendaires sont ici fort déplacées quand il s'agit de vulgaires saltimbanques dans un sujet d'intention réaliste. En revanche les plus grandes réformes de Wagner, la trame musicale ininterrompue, suivant, enveloppant sans cesse le texte, sont totalement négligées. Quand il s'agit d'exprimer la passion l'orchestre ne produit qu'un énorme boucan, sans caractère, sans profondeur: il est vrai que c'est un peu ainsi que les Italiens comprennent la passion! Il n'y a vraiment de gentil qu'une sérénade et une farce ou deux dans le goût de l'opéra[-]comique. Ajoute, pour compléter la mauvaise impression que j'en ai emportée, un orchestre trop bruyant dirigé par un "Taktschläger" et non par un "Kapellmeister", des choristes chantant faux & ne sachant pas se tenir en scène, & tu concevras que j'ai été pas mal mécontent d'avoir donné 3,50 fr. pour un fauteuil, 0,75 fr. pour le livret et d'avoir de plus entendu une mauvaise musique, eu trop chaud & gagné mal à la tête!
La troupe vénitienne de comédie — dont je t'ai parlé je pense dans ma dernière lettre — continue au contraire à m'enchanter. Elle a d'excellents acteurs & j'y ai entendu une pièce en un acte de Gallina, le directeur, très ibsénienne[.]
Dimanche 21.
Je n'ai pas encore reçu de lettre de toi, ce que j'attends toujours pourtant avec impatience.
Tu auras sous peu des nouvelles de Bologne par Lodewijk lequel est parti hier à 6 heures du soir & doit être chez lui à l'heure où je t'écris. Nous l'avons tous escorté à la gare. Inutile de te dire que nous avons diablement envié son sort. Voilà le premier parti. Je souhaite que je sois le second à m'en aller. — Ces départs ne sont jamais exempts de quelque émotion: à l'heure où l'on se quitte l'on sent combien de liens crée une vie commune à l'étranger, durant 8 mois. Les disputes, les antipathies s'oublient à ce moment[-]là. On se sent sinon amis, du moins camarades. — Il faisait très chaud, un temps lourd, orageux qui s'est continué aujourd'hui[.]
— J'ai reçu la Revue universitaire qui a trouvé moyen de faire du stupide almanach de Gand un compte-rendu plus stupide encore.[1] Tu l'auras lu, sans doute, ainsi que la piteuse & ridicule étude du juif Lévy[2] & la petite tartine prétentieuse dont a accouché le jeune & doux Léon Hennebicq.[3] Je conchie mentalement tous ces morpions & je passe outre.
[3]
— J'ai repris l'interminable lecture des Promessi Sposi de Manzoni. Malgré les longueurs & que l'intérêt est dispersé et qu'il y a des transitions plus mauvaises que dans Balzac, on trouve de fort belles parties même comme psychologie, ce qui est rare chez un romantique. Je rapporterai l'oeuvre quand je reviendrai en Belgique: elle ne coûte que 50 centimes dans l'édition Perino. Pas cher pour un chef d'oeuvre!
— Chose plus intéressante encore, j'ai commencé la lecture de l'Innocente, une oeuvre considérable de Gabriele d'Annunzio. Je t'en parlerai pas encore aujourd'hui, n'ayant lu qu'une quarantaine de pages. Jusqu'ici c'est un très intéressant roman. D'Annunzio s'y attache à l'étude d'un de ces caractères qu'il semble affectionner de décrire: un de ces nerveux chez qui l'impression, l'analyse l'emportent absolument sur la volonté.
Je commence aussi la lecture du Décaméron de Boccace. Mais!!...
Mercredi 24.
Pas encore de lettre de toi, cher vieux. Si je n'ai pas reçu de tes nouvelles demain matin je t'expédierai mon épître telle quelle, sauf à te réécrire ensuite[.]
J'ai passé hier une fort mauvaise journée: il faisait chaud, lourd, orageux. Un temps paradoxal où à travers l' atmosphère brûlante passaient de temps à autre de violents coups de vent froid. J'ai eu un abrutissant mal de tête toute la journée & j'ai eu par dessus le marché le soir un saignement de nez qui m'a duré dix minutes au moins. Il y a eu un terrible orage, de continuels roulements de tonnerre, de véritables douches d'eau.
Tout cela ne m'a pas empêché d'achever la lecture de "l'Innocente". Voici le sujet. Tullio Hermil raconte l'histoire de son crime: il avait épousé une femme belle, intelligente, qu'il aimait passionnément: les premières années du mariage furent heureuses; mais bientôt il ne ressentit plus pour elle aucune attirance charnelle; il ne la considéra plus que comme une soeur, qu'il aimait spirituellement, & elle se résigna héroïquement à ce sort, tout en en souffrant. Lui se livra à toute la sensualité de ses instincts, eut des maîtresses. A un moment donné elle devint malade, d'une maladie de la matrice et le médecin lui ordonna un complet repos, interdisit tout rapport sexuel. Quand sa femme fut convalescente, le mari resta [4] auprès d'elle, fut pour elle plein de prévenances; la maîtresse était loin, & il recommençait à désirer sa femme: il lui fait presque la promesse du renouveau de leur amour. Mais à ce moment un télégramme de sa maîtresse le rapelle; il part abandonnant sa femme. — De nouveaux mois de sensualité: mais sa liaison avec sa maîtresse a une fin; il voyage; il veut oublier; il se sent complètement changé, convalescent à son tour; son amour pour sa femme a survécu; il revient vers elle qui l'attend toujours avec sa fidélité de martyre. Elle est d'une santé faible maintenant, menée par les chagrins. Mais elle aime toujours & quand son mari revient vers elle en amant, elle s'abandonne, fatale & passionnée, avec une fureur terrible de sensualité, comme si elle voulait se tuer en une seule journée d'amour, ne pas vivre le lendemain. Et ce lendemain est terrible en effet. Le mari apprend que depuis plus d'un mois sa femme est enceinte: elle a donc eu un amant. Et elle ne cache pas sa faute, elle en demande humblement pardon, ce n'a été qu'une minute de vertige charnel, elle n'a jamais cessé d'aimer son mari. Elle ne lui reproche pas de l'avoir trompée si souvent. Elle s'humilie & lui se résigne à souffrir comme elle a souffert[,] elle jadis. Il pardonne à sa femme, mais point à l'enfant qui va naître, à "l'Innocente". Ses fureurs charnelles sont terribles, il espère à force de la secouer de spasmes faire avorter sa femme. Rien ne sert. L'enfant naît viable. Lui reste convaincu qu'il ne pourra être heureux, que sa femme & lui ne pourront reconquérir leur amour que si cet enfant, témoignage de la faute, disparaît. Et patiemment, avec pleine conscience, il médite la mort de l'enfant. Il parvient à le tuer, en l'exposant au froid, sans que personne en sache rien.
Tel est brièvement résumé, dans ses grandes lignes, ce roman dont je ne puis te rendre l'aspect général: l'analyse psychologique souvent très fine, toutes les sautes de pensées, la multiplicité des états d'âme.
Tu auras remarqué que deux questions demeurent irrésolues: qui fut l'amant de la femme & comment, par quelle suite de circonstances elle a cédé? — Le mari & la femme reconquièrent-ils vraiment leur amour par la mort de l'enfant adultérin? — L'auteur a trouvé bon de laisser cela dans le vague.
Le caractère du mari est un caractère égoïste de nerveux qui s'observe sans cesse, possède cette particulière puissance d'auto-analyse [5] assez fréquente aujourd'hui; il est orgueilleux, se croit supérieur aux autres hommes, trouve que les lois de la morale ne sont pas faites pour lui; de plus très sensuel. Au fond il a pourtant de bons instincts, l'admiration de ce qui est beau & noble, sans la force de l'accomplir. Une âme moderne, fort complexe en somme & subissant de continuelles virevoltes.
La femme reste une assez énigmatique figure, presque céleste par certains côtés, mais bien terrestre & bien italienne par sa sensualité même. Et c'est bien là ce qui fait qu'on reconnaît le roman italien, qu'on le distingue du roman français. Il y a une scène d'une volupté si ardente, d'une telle sensualité qu'un homme du midi seul a pu l'écrire. Ce serait trop long de te la transcrire en entier mais en voici quelques passages. (Tullio & sa femme reviennent dans le jardin de la villa où s'est développé leur amour aux premières années du mariage. Ils sont sur un banc) "...... Quando ella si levò, con un atto rapidissimo io me la presi fra le braccia e attacai la mia bocca alla sua.
Fu un bacio di amante quello che io le diedi, un bacio lungo e profondo che agito tutta la essenza delle nostre due vite. Ella si lasciò ricadere sul sedile, spossata. — Ah no, no, Tullio: té prego! Non più, non più! Lasciami prima riprendere un po' di forza — supplicò, stendendo le mani come per tenermi discosto — Altrimenti non mi potrò più levare di qui... Vedi, sono morta[.] Movendo verso la casa, non parlammo. Cosi intensa era divenuta la mia brama (= désir) la visione dell'evento prossimo rapiva la mia anima in un turbine cosi alto di gioia, cosi forte era il battito delle mie arterie che ie pensai: "È il delirio? Non provai questo la prima notte nuziale, quando misi il piede su la soglia ..." Due o tre volte m'assali un impeto selvaggio, come un accesso istantaneo di follia, che contemri per prodigio: tale era il mio bisogno fisico di ripossedere quella donna. Anche in lei l'orgasmo doveva essere divenuto insostenibile, perché ella si fermò sospirando: — Oh mio Dio, mio Dio! E troppo. Soffocato, oppressa, m'afferrò una mano e se la portò al cuore. — Senti! Più che i battiti del suo cuore io sentii la mollezza del suo seno a traverso la stoffa; e le mie dita istintivamente si piegarono a [6] stringere la piccola forma che conoscevano. Vidi negli occhi di Giuliana l'iride perdersi nel bianco sotto le palpebre che si abbassavano. Temendo ch'ella venisse meno (= qu'elle ne tombât faible), la mantenni; poi la sospendi, quasi la portai di peso, fino ai ci pressi, fino a un sedile dove sedemmo ambedue estemati.
Comme tu peux voir, cet italien n'est pas très difficile à comprendre & ressemble fort au français même comme tournures[.]
D'Annunzio procède beaucoup par impressions dans son style, par phrases courtes, rendant souvent par des signes extérieurs les états d'âme. Certaines expressions reviennent trop souvent: je crois t'avoir déjà signalé "le tendine che si gonfiavano come vele" que j'ai bien retrouvé ici une demi-douzaines de fois.
— Pour en revenir aux caractères, il y a, outre les deux personnages principaux, la mère & le frère du mari, deux beaux caractères de grandeur simple, peut-être un peu cherchés, servant trop à faire contraste, un paysan un peu trop romantique qui a "le geste épique du semeur."
Les deux filles de Tullio & de Giuliana, deux bambines bien dessinées.
En fait de clichés modernistes, il y a quelques phrases sur la "décadence", & de l'analyse dite "cruelle" dans le goût de ceci: "Mi si presentò allo spirito la verità brutale in tutta la sua più ignobile brutalità: "Ella è stata posseduta da un altro, ba ricevuta l'escrezione di un altro, porta nel ventre il seme di un altro."["]
Voilà en quelques pages diverses remarques, analyses, etc qui ne te donneront que très peu l'idée de ce qu'est l'Innocente en somme l'oeuvre la plus intéressante que je connaisse de la littérature italienne contemporaine. — Il y a en tête du livre un frontispice symbolique de Sartorio[.]
Prochainement je lirai "Il Piacere" l'autre grande oeuvre de d'Annunzio.
Mercredi soir.
J'ai reçu tantôt à cinq heures ta chère lettre. Et elle m'a réjoui tant par sa longueur que par tout ce qu'elle contenait d'intéressant.
J'ai peu de chose à te répondre. J'attends non sans impatience le 2e numéro de Van Nu en Str[aks] et l'article de toi que tu m'annonces. Je discuterai — oui monsieur! — les idées sur les tendances actuelles de la littérature & sur son avenir (je crains bien que son avenir me [7] ressemble un peu à celui de l'Allemagne dans le poème de Heine: Deutschland ch[apitre] XXVI.
Entsetzlich waren die Düfte, o Gott!
Die sich nachher erhuben;
Es war, als fegte man den Mist
Aus sechsunddreissig Gruben.)

— J'ai écrit à Mane il y a eu samedi huit jours. Je croyais te l'avoir dit. J'espère qu'il aura reçu ma lettre[.]
Là-dessus je te serre vigoureusement les deux chères pattes. A bientôt, frère!
Ton
Giacomo

Annotations

[1] 'Almanach de l'Université de Gand pour 1893, publié sous les auspices de la Société générale des Etudiants libéraux. Un beau et fort volume d'environ 385 pages. - Gand, librairie général de Ad. Hoste, éditeur.', in: Revue Universitaire, III, 9 (15 mei 1893), p. 405-408. De bespreking behandelt het referendum en de andere bijdragen in de Almanach. Zie ook brief 48, noot 3.
[2] Albert Lévy, 'Le roman psychologique. Essai de critique littéraire', in: Revue Universitaire, III, 9 (15 mei 1893), p. 383-395.
[3] Leon Hennebicq, 'Esquisses allemandes', in: Revue Universitaire, III, 9 (15 mei 1893), p. 395-399.

Register

Naam - persoon

Annunzio, Gabriele D' (° Francavilla a Mare, 1863 - ✝ Gardone, 1938)

Politicus en schrijver.

Bom, Emmanuel Karel De (° Antwerpen, 1868-11-09 - ✝ Kalmthout, 1953-04-14)

Bibliothecaris, journalist en schrijver. Medeoprichter van Van Nu en Straks. Gehuwd met Nora Aulit op 24/08/1901 in Antwerpen.

Manzoni, Alessandro (° Milaan, 1785 - ✝ Milaan, 1873)

Schrijver.

Mascagni, Pietro (° Livorno, 1863 - ✝ Rome, 1945)

Componist.

Raet, Lodewijk De (° Brussel, 1870-02-17 - ✝ Vorst (Brussel), 1914-11-24)

Economist.

Studiegenoot van A.Vermeylen en J.Dwelshauvers op het Brussels Atheneum en aan de ULB, medestudent van J.Dwelshauvers, A.Walravens en H.Köttlitz in het Collegio dei Fiammenghi in Bologna (J.Jacobsstichting) in 1892-1893.

Vermeylen, August. (° Brussel, 1872-05-12 - ✝ Ukkel, 1945-01-10)

Hoogleraar, kunsthistoricus en schrijver. Medeoprichter van Van Nu en Straks. Gehuwd met Gabrielle Josephine Pauline Brouhon op 21/09/1897.

Titel - krant/tijdschrift

Revue Universitaire

1891 -1898

Maandblad met enkele onderbrekingen in Brussel verschenen.

Werd achtereenvolgens uitgegeven door H. Lamertin en Weduwe Ferd. Larcier. De redactie berustte in 1891 bij de Brusselse student in de rechten E.Vinck en in 1892 bij zijn studiegenoot A.Hirsch; vanaf 1893 werd de redactie waargenomen door een driemanschap dat de universiteiten Brussel, Gent en Luik vertegenwoordigde. De stichting van de Revue Universitaire ging uit van de in 1887 te Brussel opgerichte Cercle Universitaire, die het contact en de samenwerking tussen enerzijds studenten en professoren en anderzijds tussen de verschillende faculteiten en zelfs universiteiten wilde stimuleren. Door de medewerking van professoren, docenten en studenten uit Gent, Brussel en Luik, fungeerde het inderdaad enige tijd als wetenschappelijk orgaan van deze drie universiteiten. Toch bleef de nadruk vallen op de activiteiten in de Brusselse universiteit. Na 1894 bevatte het tenslotte grotendeels nog slechts artikels en inlichtingen over de Université. Nouvelle (Brussel), omdat de meeste professoren, uit protest tegen de aandacht die de Revue aan deze alternatieve universiteit schonk, hun medewerking drastisch inkrompen.

Titel - artikel

Almanach De L'universite De Gand (° 1885 - ✝ 1906)

Uitgegeven onder de auspiciën van de Société Générale des Etudiants de Gand, bij A. Hoste. Tot 1914 voortgezet als Almanach des étudiants libéraux de l'Université de Gand. Bevatte in 1890 een zeer uitgebreid register van de tot dan toe verschenen studententijdschriften. Medewerkers aan het literaire gedeelte waren o.m. L. Franck, Edm. Picard, C. Lemonnier, G. Garnir, F. Severin en H. Krains.