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Mon cher Mane,
Je n'ai tardé à répondre à ta lettre que parce que je voulais t'envoyer en te répondant ma photographie que je t'avais promise.[1] Tu y retrouveras sinon mon expression du moins mes traits: pouvons[-]nous exiger d'ailleurs qu'un objectif et une plaque sensible retiennent autre chose que des lignes et des contours? En tous cas grâce à la magnifique lumière du ciel bolonais les photographies faites ici sont aussi belles & aussi chaudes qu'on le peut désirer: c'est au moins un plaisir pour les yeux, si ce n'est pas une pure jouissance artistique.
Voici plus de 3 semaines que je suis ici & je commence à m'acclimater: j'apprends l'italien tout doucement: ce n'est pas encore une langue aussi facile à parler qu'on se l'imagine ordinairement; l'usage est nécessaire. Au commencement quand j'entendais parler des Italiens je ne saisissais pas un traître mot: ils parlent avec une volubilité étonnante & l'on ne comprend point au vol bien des mots que l'on comprendrait à l'instant si on les voyait imprimés. Tout ceci te dira que les études de moeurs que j'ai pu faire jusqu'ici ont été très restreintes.
J'ai cependant appris à connaître quelques étudiants: dois-je l'avouer ? Ce m'a été une déception totale. J'avais quelque illusion à leur égard, je les croyais moins communs, plus intelligents, plus instruits que les nôtres. Hélas! l'Internationalisme sévit parmi la gent estudiantine: les étudiants de tous les pays débitent les mêmes plaisanteries, dans les mêmes termes, tous parlent des femmes avec le même cynisme naïf, tous prennent grand plaisir à faire des tournées platoniques dans les bordels! Les étudiants bolonais [2] ont cette particularité qu'ils se promènent toute la journée et presque toujours au même endroit, le "Pavaglione". Le soir on les retrouve invariablement dans deux ou trois cafés, toujours les mêmes. Enfin, comme la ville est petite en somme on ne peut faire quatre pas sans les rencontrer!
A en juger par le nombre de vacances que ces messieurs se payent ils doivent être joliment paresseux. Imagine-toi que les cours ne commenceront que le 2 décembre, & cela parce que les étudiants doivent aller aux élections qui ont lieu au mois de novembre! Ensuite, au milieu de décembre commencent les vacances de Noël, de sorte que la plupart des étudiants ne viennent que pour le 12 janvier. Ensuite, il y a officiellement une semaine de congé au Carnaval, ce qui en langage d'étudiant signifie quinze jours, quand ce n'est pas un mois; même chose à Pâques. Enfin les cours finissent à la fin de mai & avant la fin de juin tous les examins sont terminés. Tu vois qu'on ne se foule pas la rate en ces bien heureuses contrées.
Quant à moi ce système me satisfait assez, car il me permettra de travailler à loisir à mes oeuvres personnelles. Sous le rapport du travail littéraire je regrette pourtant mon chez moi: on n'est jamais si libre qu'à la maison, avec tous ses livres à portée de la main. Ici j'ai des obligations envers mes camarades, je ne puis pas m'isoler d'eux & je perds un temps énorme.
Je n'ai pas encore pénétré les beautés de la littérature italienne: je ne suis pas encore assez fort pour cela & je n'ai pas encore eu l'occasion de rencontrer des littérateurs.
En revanche je m'intéresse beaucoup à la peinture, l'ancienne bien entendu, car l'actuelle c'est triste. Le musée de Bologne est presque entièrement composé d'oeuvres de l'école bolonaise: Guido Reni, les trois Carrache, le Francia, le Guerchin, Zampieri, etc. Réellement cette école n'est pas faite pour enthousiasmer: c'est le triomphe de l'académique, du truc, de la pose, des tours de force, des raccourcis, de tous les moyens extérieurs dont se servent ceux à qui manque l'inspiration. Ces gens[-]là connaissaient le métier: ils savaient jeter des draperies, disposer des groupes, dessiner des muscles: [3] mais leurs personnages ne vivent pas; tout au moins ils ne vivent pas de cette vie surélevée des saints et des héros, ils n'ont pas les pensées sublimes, les élans, les grandeurs que leur attribue l'histoire ou la légende: ce sont de mauvais comédiens, d'indignes comparses qui signent la grandeur, l'héroïsme par des poses, par des draperies, par des ornements par tout ce que la gloire a d'extérieur, de superficiel. Toute cette peinture sent le décor: elle est toute conventionnelle, toute théâtrale: les nuages sont des nuages de carton: les vierges et les anges sont enlevés sur des portauts de bois & l'on voit le truc comme dans les théâtres mal machinés. Puis on sent une tendance à faire énorme: ces peintres couvraient de peintures de gigantesques toiles, truellaient de monstrueux corps, contournés dans des poses bizarres, exagéraient les mouvements, faisaient crier ceux qui pleuraient, hurler ceux qui criaient: c'est d'un déclamatoire insupportable, d'une affectation ridicule et dont le ridicule n'est pas même curieux! Il faut voir les grandes machines de Zampieri: les martyrs qu'on supplicie et qui ont l'air d'être en proie au delirium tremens, les saintes qu'on égorge en leur enfonçant un grand couteau de boucher , la Ste Vierge qui semble, baissant les yeux, une petite paysane innocente à qui l'on fait des propositions. Guido Reni, bien que le plus habile de tous n'a guère meilleur goût. Son massacre des innocents est une boucherie absurde: il traite même des sujets de ce goût: Samson victorieux fait jaillir de l'eau d'une mâchoire d'âne avec laquelle il a tué les Philistins! Tu vois ça d'ici!
Et pourtant tous ces Bolonais sans génie, sans inspiration, ont sent qu'ils sont les descendants de ce Raphaël dont la Ste Cécile , exposée à la place d'honneur, fait pâmer d'aise les Anglaises porteuses de Baedeker. Ah! vois-tu j'ai beau m'efforcer de m'enthousiasmer pour ce Raphael que tout le monde encense à l'envi, je n'y parviens pas! En dépit de ce qu'on peut dire, je trouve sa peinture froide, conventionnelle, sans rien des grands élans réligieux, du mysticisme ardent des primitifs. Sa Ste Cécile est une fort jolie femme dont les grands yeux noirs sont pleins de ferveur: mais cette extase pourrait sans inconvénient être une [4] extase païenne, et rien ne dit que l'expression voluptueuse de ce regard ne vient pas de récurrences charnelles. 4 personnages entourent la Sainte: St Paul appuyé sur la garde d'une épée, une grande buste d'Hercule méditatif; St Jean l'Evangeliste qui a une tête douteuse et incertaine, une tête d'androgyne, St Augustin Evêque un type barbu à rire fourbe, enfin Marie[-]Madeleine une jolie italienne aimablement décolletée qui fait face au spectateur et le provoque de ses yeux un peu moqueurs comme pour se faire admirer. Les têtes se détachent sur un ciel nuageux et pourtant bleu: les mêmes nuages de carton que nous voyons chez l'école bolonaise, des nuages d'un bleu sourd — pourquoi pas? — dans la frise desquels se découpe une grande éclaircie où sont esquissés et teintes mortes, très douces, cinq anges chantants. — C'est très bien conçu si l'on veut, c'est très savant certes, mais l'on reste froid, l'on ne se sent pas renié ou poigné par une angoissante sensation d'Art.
Le maître de Raphaël, le Pérugin m'intéresse d'avantage. Celui-là aussi est plein de recettes, de formules, de convention. Mais son affection de grâce atteint un degré où elle devient infiniment curieuse & bizarre. Il a là un tableau d'une composition absurde c'est vrai, mais où l'on trouve un étrange St Michel: un joli adolescent serré par son armure comme par un maillot qui lui dessine toutes les formes du corps, les bras trop frêles, le buste bombant un peu, les hanches trop évasées, la cou est nu, blanc, délicat comme celui d'une fille; la tête penche un peu, pleine de morbidezza, une belle chevelure noire s'épand sur les épaules, son casque semble une petite coiffure de femme, ornée de plume, et de pierres précieuses; la forme du visage est d'une jeune fille; les prunelles alanguies roulent au coin des yeux; mais surtout la bouche, la bouche petite rouge, charnue, sensuelle, évoque irrésistiblement la pensée d'illicites baisers.
Il y a peu de primitifs dans la galerie: un Giotto ou deux, autant de Jacopo Avanzi, peu intéressants du reste. Une assez belle collection d'eaux fortes et de gravures, de l'Albert [5] Dürer, surtout puis d'un certain Beham Sebaldo de Nüremberg (qui est-ce?) qui faisait du symbolisme avant la lettre: entre autres dans son Adam & Eve le pommier est représenté par un squelette qui étend ses bras: le serpent s'enroule dans la cage thoracique & autour du crâne. Des épisodes de la passion de Jésus-Christ par Lucas de Leyde, qui nous représente un bon Christ vieux, fourbu, résigné, abêti, souffrant misérablement comme le dernier des hommes.
Il y a relativement peu de tableaux dans les [églises] et peu de bons surtout. Ces églises sont décorées avec un mauvais goût pyramidal: on y entoure les colonnes de grandes tentures rouges à franges d'or; il y a des autels de carton doré insupportables & des chapel[les] dont la décoration rappelle les lupanars; puis partout ces odieux fresques d'une médiocrité révoltante qui pourrissent sur les murs! En un mot l'aspect général de Bologne est plus intéressant que ses monuments pris en particulier.
— Et maintenant parlons un peu de toi & de ta lettre. D'abord je te ferais humblement remarquer que je m'app[elle] en Italien non pas Jacobo mais bien Giacomo, un mot dont tu saisiras, je l'espère, toute l'harmonie!! J'attends avec impatience le 1er numéro de votre Revue[.] Gust m'a écrit qu'il allait enfin partir pour la Hollande,[2] de sorte que je suppose que ça chauffe.
Tes prises de bec avec les socialistes à propos des Crimes des Foules.[3] m'ont bien amusé. Est-il besoin de te dire que je pense tout comme toi sur ce sujet & que je crois beaucoup plus aux individualités géniales qu'à toute la bêtise concentrée de la masse.
Tous tes "états d'âme" m'ont vivement intéressé: tu ne peux jamais m'en écrire trop à ce propos: tu sais que j'ai un faible pour la psychologie (pardonne ce grand mot prétentieux!)
Dans toutes les lettres que je reçois de Belgique j'apprends que les Belges grelottent avec ensemble: ici ma fenêtre reste encore ouverte toute la journée & il ne pleut presque pas dans ce bien heureux pays: cela me stupifie davantage de jour en jour!
[6]
— Je te demande pardon de t'imposer un travail ardu par les énigmes hiératiques de mon écriture: elle suit ma pensée, vois-tu, et quand celle-ci manque de contours nets les phrases et les mots et les lettres en manquent aussi. Voilà de la graphologie, n'est-ce pas.
Je ne t'en écris pas davantage: je n'en finirais plus et je finirais par t'ennuyer si je m'abondonnais à relater toutes mes impressions par le menu. Puis la nuit vient les esprits mauvais rôdent dans l'air comme on disait jadis, & je n'y vois plus.
Au revoir, je te serre cordialement les deux mains & espère recevoir sous peu de bonnes nouvelles de toi. Je souhaite que ma tête [4] t'arrive saine & sauve!
Bien à toi, fraternellement
Jacques

Annotations

[2] Vermeylen heeft zijn vertrekdatum herhaaldelijk uitgesteld. Uiteindelijk zal hij toch in Amsterdam en Den Haag geraken (zondag 13 tot en met woensdag 23 november). Zie brief 205, noot 4.
[3] Het is niet duidelijk wat Dwelshauvers bedoelt. 'Les crimes des foules', een rapport van G. Tarde dat hij voordroeg op het 'Congres d'Anthropologie Criminelle de Bruxelles' in augustus 1892, verscheen in: G. Tarde, Essais et mélanges sociologiques (Lyon, A. Storck - Paris, G. Masson, 1895), p. 61-101. Mogelijk bestaat er een verband met brief 168 (noot 7).
[4] Foto van Jacques Dwelshauvers. Zie het begin van de brief.

Register

Name - person

Avanzi, Jacopo Degli

Bologna ± midden 14e eeuw - Aldaar na 1404

Schilder.

Behandelde religieuze onderwerpen (zoals de geboorte van Christus, de Hemelvaart, de Kruisiging), nog vrij van nieuwe invloeden die zich met Altichiero zouden doen gelden. De paar werken die van hem bekend zijn, bevinden zich in Rome (Galleria Collonne), Venetië en Bologna. In 1404 maakte hij nog uitzonderlijke fresco's in de Sant'Apollonia kerk, naast de villa Mezzaratta, in de buurt van Bologna.

Beham, Hans Sebald (° Nürnberg, 1500 - ✝ Frankfurt am Main, 1550)

Graficus, graveur, ontwerper en schilder.

Bom, Emmanuel Karel De (° Antwerpen, 1868-11-09 - ✝ Kalmthout, 1953-04-14)

Bibliothecaris, journalist en schrijver. Medeoprichter van Van Nu en Straks. Gehuwd met Nora Aulit op 24/08/1901 in Antwerpen.

Carracci, Agostino (° Bologna, - ✝ Parma, 1602)

Schilder, graveur en docent.

Broer van Annibale en Lodovico.

Carracci, Annibale

Bologna 1560 - Rome 1609

Schilder, tekenaar en graficus.

Broer van Agostino en Lodovico.

Carracci, Lodovico (° Bologna, - ✝ Bologna, 1619)

Schilder.

Broer van Agostino en Annibale.

Dwelshauvers, (Jean) Jacques (° Brussel, 1872-07-09 - ✝ Montmaur-en-Diois (Drôme), 1940-11-14)

Kunsthistoricus en militant anarchist.

Broer van Georges Dwelshauvers en gezel van Clara Köttlitz, met wie hij in 1897 een vrij huwelijk aanging. Deed beloftevolle studies aan het Koninklijk Atheneum Brussel (afd. Latijn-Grieks), waar hij A.Vermeylen leerde kennen. Studeerde 1890-92 natuurwetenschappen aan de ULB (diploma van kandidaat in juli 1892). Met een beurs van de Jacobsstichting vatte hij in oktober 1892 studies in de medicijnen aan te Bologna, samen met de latere geneesheren Herman Köttlitz en Alfred Walravens. Hij verliet Bologna in 1897, zonder de hele cyclus te hebben beëindigd.

In hetzelfde jaar begonnen de eerste strubbelingen met Gust Vermeylen, i.v.m. diens huwelijk met Gaby Brouhon en de strekking en inhoud van Van Nu en Straks. Het jaar daarop maakte hij een nieuwe reis naar Bologna en Bergamo. In het voorjaar van 1899 trok hij met Clara naar Firenze, waar hij zich voortaan geheel aan kunsthistorisch onderzoek wijdde, geboeid door de figuur van Botticelli en de kuituur van het Quattrocento. Hij zou in Firenze ook nog de toelating hebben gevraagd zich voor de eindexamens geneeskunde aan te bieden, maar legde die nooit af. Zijn verblijf in en om Firenze (afwisselend te Calamecca en te Castello), dat tot 1906 duurde, werd regelmatig onderbroken voor reizen naar het thuisland, en naar Parijs.

In 1899 werd te Antwerpen trouwens zijn zoon Lorenzo (Jean-Jacques Erasme Laurent) geboren (op de akte tekende o.m. Emmanuel de Bom als getuige), en het gezin was er officieel ingeschreven aan de Montebellostraat 3 tot 1906. In dat jaar, verhuisden zij naar Colombes bij Parijs (Boulevard Gambetta 46, niet-geregistreerde verblijfplaats). Dwelshauvers, die zich intussen Mesnil noemde (naar twee dorpjes bij Dinant, de geboortestad van zijn vaders familie), onderhield er nauwe contacten met de anarchistische en internationalistische beweging. Hij verdiende de kost met het schrijven van reisgidsen, eerst bij Hachette (o.a. de Guide Joanne - na W.O.I Guide Bleu - over Noord-Italië), nadien bij Baedeker.

Tussen 1910 en 1914 vestigde het gezin Mesnil zich te Alfort bij Parijs, waar - gezien zijn moeilijkheden met de geheime politie - evenmin een officiële inschrijving werd genoteerd. Jacques Mesnil stierf in niet opgehelderde omstandigheden te Montmaur, waar zijn zoon toen zou hebben gewoond; hij leed toen al enkele jaren aan een hart- en nierziekte waarvoor hij o.m. door dokter Schamelhout werd behandeld. Behalve aan Van Nu en Straks werkte hij nog mee aan Mercure de France, La société nouvelle, Ontwaking, Onze kunst, Revista d'Arte, Gazette des beaux arts, Burlington Magazine, de Parijse krant L'Humanité en het Italiaanse Avanti. Een bibliografie kan men terugvinden in de geciteerde bronnen.

Francia, Ii (° Bologna, - ✝ Bologna ±, 1517)

Schilder.

Giotto Di Bondone (° Colle di Vespignano, 1266 - ✝ Firenze, 1337)

Schilder en architect.

Guercino, Ii (° Cento, 1591 - ✝ Bologna,)

Schilder.

Perugino, Il (° Città della Pieve (Perugia), 1450 - ✝ Fontignano (Perugia), 1523)

Schilder.

Reni, Guido (° Bologna, - ✝ Bologna, 1642)

Schilder, tekenaar en etser.

Tarde, Gabriël (de) (° Sarlat (Dordogne), 1843 - ✝ Parijs, 1904)

Socioloog.

Vermeylen, August. (° Brussel, 1872-05-12 - ✝ Ukkel, 1945-01-10)

Hoogleraar, kunsthistoricus en schrijver. Medeoprichter van Van Nu en Straks. Gehuwd met Gabrielle Josephine Pauline Brouhon op 21/09/1897.

Zampieri, Domenico (° Bologna, - ✝ Napels, 1641)

Schilder, architect en schrijver.