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BOLOGNA FERROVIA 04 3 93 3S
Monsieur Gust Vermeylen,
81 rue Pachéco.
Bruxelles.
Belgio.
BRUXELLES 1 5 MARS 9-S
 
Cher Gust,
Le sort de Van Nu en Straks m'inquiète, j'attends toujours & n'ai rien reçu. Che significa questo?
Je commence à t'écrire pour me reposer d'une journée de bloque. J'ai écrit une page de la Vie impossible en plus de cinq heures. Il y a une description de six lignes qui ne m'a pas coûté moins de deux heures & dont je ne suis pas encore satisfait! Je sue, mais je m'amuse tout de même! D'ici à deux mois je n'entrevois guère d'embêtements matériels & si je parviens à travailler constamment je puis espérer avoir enfin achevé mon ouvrage à la fin d'avril. J'en serai à la fois content & triste: content d'avoir accompli l'oeuvre & de lui avoir donné une forme à peu près passable; triste parce que ce sera un bon compagnon que je devrai abandonner & qui m'a procuré de fières heures de travail. Voilà depuis octobre 1890, vingt-neuf mois que je m'en occupe.[1]
J'ai terminé la lecture de César Birotteau de Balzac. Enorme, sublime, quoi! Je ne saurais pas dire comment je l'admire. Le caractère de Birotteau est, en dépit de ses côtés grotesques, sublime d'honnêteté. Ce bourgeois maladroit, qui a toute la bêtise, tous les préjugés des bourgeois devient par son honnêteté héroïque et absurde d'une grandeur étonnante. Dans ce milieu mesquin il y a des scènes du plus haut tragique & cela sans effets cherchés, sans grandes phrases. Ce qui me stupéfie de plus en plus chez Balzac c'est la manière dont il donne la sensation de la vie: tous ses personnages sont debout sur leurs pieds, ils vivent, ils marchent, ils pensent: on les voit: on [2] se sent au milieu d'eux. Les écrivains de la deuxième moitié de siècle ne nous procurent plus du tout cette sensation. Les personnages qu'ils décrivent ne vous sont jamais complètement présents: ils ont l'air de se mouvoir derrière un grand transparent, lequel n'est autre que l'âme de l'auteur qui voit, pense & décrit pour eux. Flaubert par exemple qui voulait faire des oeuvres objectives, où l'auteur ne paraît nulle part est en somme constamment présent dans ses oeuvres, & bien plus que Balzac bien que celui-ci prenne à tout moment la parole en son propre nom. — Au fond la description-catalogue de Balzac a de bons côtés!
— J'ai commencé à lire du Dostoïevsky (Les Pauvres Gens). Cré Dieu! De quels effets il arrive avec une si prodigieuse simplicité de moyens! Je n'en reviens pas! Après de pareilles lectures je me sens désespéré: je n'ai plus envie d'écrire une ligne quand je vois comme je me torture pour trouver du complexe, du raffiné qui n'aboutit qu'à de l'embêtement ou à de l'épilepsie. Quand cesserons-nous de couper des cheveux en quatre?!
Jeudi 2 Mars.
Quel temps, nom de Dieu! Quel temps! Il s'est mis à faire une chaleur boeuf, le ciel est torride, un cochon de soleil qui vous rôtit le cervelet & vous chauffe le siège des bas instincts d'une manière inquiétante. Tantôt, à une heure, il y avait seize degrés à l'ombre! Et dire qu'il y a cinq semaines nous gelions à raison de douze degrés sous zéro! Quel climat! on est soudain transporté d'une glacière dans une étuve. Aussi je suis atteint d'un avachissement incommensurable! J'ai voulu me promener cette après-midi, mais après une heure de marche j'étais éreinté & je suais positivement. Il fallait voir le bon peuple bolonais vautré un peu partout dans les rues[,] sur l'escalier des églises, en plein soleil. J'ai vu un pauvre vieux qui crevait sur les degrés de pierre d'une colonne, Piazza San Domenico: il faisait des efforts pour respirer, ses paupières étaient tombées sur ses yeux, sa tête branlait; une bave lente lui sortait de la bouche; autour de lui il y avait un attroupement d'écoliers qui regardaient curieusement, se haussaient sur la pointe des pieds, grimpaient à la colonne pour mieux voir. Certains riaient & lançaient des plaisanteries. On a essayé de mettre le vieux en voiture: mais on n'a pas su: il était comme une masse. Le ciel était très pur & le soleil projetait obliquement les ombres des maisons.
— J'ai fini de lire: les Pauvres Gens. Quelle témérité ne fallait- [3] il pas pour tenter un pareil sujet? S'astreindre à ne jamais paraître soi-même, à pénétrer dans l'âme de gens simples, à se mettre à leur place, à écrire en leur nom, voilà ce qui pour un auteur est rudement courageux & exige pas mal de volonté. A ce point de vue les Souvenirs de la Maison des Morts sont moins étonnants. Je m'y suis attelé: je t'en parlerai prochainement. — Idem de la fin du "Primogenito" de Gabriele d'Annunzio.[2]
— La Vie impossible avance d'un pas de tortue. Le passage que j'écris m'embête prodigieusement.
Vendredi 3 mars.
Le "Coquin de printemps" s'accentue de plus en plus. Ciel bleu, soleil, mal de tête, flemmalgite aiguë,[*] ça va bien! Je ne fous rien, j'ai l'estomac détraqué & le cervelet en capilotade: j'ai essayé de me promener, mais dans cette coquine de campagne il n'y a pas un recoin d'ombre; j'avais l'envie de faire comme le bas peuple: de m'étendre sur les degrés de San Petronio & de dormir à en crever. J'ai été lire le "Journal des Débats" mais les détails sur l'affaire du Panama & autres scandales ne sont pas parvenus à me dérider. J'y ai lu cependant un article intéressant sur un roman moral & politique d'un jésuite espagnol.[3] — Pour le moment je baille à me décrocher la mâchoire, je me sers quelques pages de la Correspondance de Flaubert (c'est l'éternel remède quand on est mal disposé); de temps à autre un piano orgue vient dérouler ses impeccables gammes dans une des rues voisines. Je commence à concevoir la paresse des italiens, encore mieux des italiens du Sud: à Naples par exemple. L'Université de Naples qui compte 4000 étudiants donne cours peut-être deux ou trois mois tout au plus; personne n'y travaille: seulement il s'y passe des scènes de carnage: on brise des bancs, on casse des carreaux, on démolit les auditoires à propos de rien & personne ne s'en étonne. Aussi les napolitains qui veulent travailler viennent-ils à Bologne ou dans d'autres universités du Nord de l'Italie.
— Puisque je suis en train de bavarder je vais te raconter la fin du "Primogenito" de Gabriele d'Annunzio. Cédant enfin aux instances de sa mère & de ses soeurs, poussé de force par elles, l'aîné va trouver son père. Mais la peur de cette entrevue s'est encore accrue chez lui; il arrive là angoissé, brisé, & dès que l'entretien a commencé il ne désire rien tant que d'en être débarrassé, de s'échapper à l'air libre; & au lieu de d'accomplir [4] sa mission, de faire des remontrances à son père, il n'ose lui rien dire & comme son père lui dévoile qu'il a des dettes qu'il ne peut payer, le fils accepte de lui prêter de l'argent. Puis il s'enfuit de cette maison, désespéré de sa lâcheté & n'osant plus retourner chez sa mère, hanté d'idées de suicide. — Rien de plus & pas de dénouement à proprement parler "qui satisfasse entièrement le lecteur" comme dit si bêtement la rhétorique. Mais je crains que le d'Annunzio ne soit trop bien maître de la technique de son art & que la sincérité ne lui manque souvent. Les mêmes phrases, les mêmes effets se retrouvent trop souvent. Je puis le reconnaître déjà parmi cent autres. "Le porte sbattute", "Le cortine che si gonfiavano come vele", & autres phrases sont obsédantes[.]
Samedi 4.
Ta lettre est venue me ranimer ce matin: j'avais passé une nuit détestable. J'avais hier soir un mal de tête terrible qui m'encapuchonnait tant le crâne & me pétrissait le cervelet d'une manière inquiétante. Penser me faisait mal. Je me suis couché à 9½ h. A une heure & demi du matin je me suis réveillé souffrant de plus en plus. Je me suis administré alors une dose d'antipyrine qui m'a sauvé. Je me suis levé guéri de mon mal de tête, mais malade & fatigué comme si j'avais fait dix lieues. Je crois que c'est mon S[acré Nom] de D[ieu] d'estomac qui me joue des tours. Et moi qui m'étais promis de bien travailler cette semaine — ô ironie!
Avant-hier je recevais une lettre de ma mère qui me proposait de venir me rejoindre à Venise pendant les vacances de Pâques.[4] Cela m'a mis dans une étrange situation: car je sais que les longs voyages en train fatiguent outre-mesure ma mère & puis j'ai cru distinguer à la tournure générale des phrases que si elle venait en Italie c'était uniquement pour que je fasse un voyage à Venise & que j'y aie une compagnie. Une pareille bonté, un pareil amour, un tel devoument, ça vous écrase. J'en étais honteux surtout que je ne mérite pas d'être aimé ainsi — Ah! tu as parfois bien raison de me gronder. Je suis un sacré égoïste[.]
— Je te remercie bien des renseignements sur le Carnaval.[5] Au fait tu as raison: je ferai probablement mieux de créer un carnaval ou d'en bâtir un avec mes souvenirs. Il s'agit du reste d'un carnaval que Maurice a entrevu à 15 ou 16 ans: c'était la première fois, tout l'a émerveillé. Tu me demandes de m'envoyer mon roman [5] chapitre par chapitre, dès qu'un chapitre sera achevé: si je le fais ( c'est possible, je ne te le certifie pas) je ferai pour toi une copie du manuscript original: je garde celui-ci pour 3 raisons: 1° grâce à l'habileté de la poste italienne il se pourrait qu'il se perdit en route & ce serait irréparable; 2° il est à peu près illisible: les corrections étant écrites au verso des pages, d'autres entre les lignes[,] il est très difficile de s'y retrouver; 3° j'en ai constamment besoin pour voir si je ne répète pas trop souvent les mêmes phrases, ou si je ne ramène pas les mêmes effets.
Quels déboires avec Van Nu en Straks & que c'est désagréable pour toi. — Quant à ce que tu veuilles "vivre largement, dans toute l'acception du mot, goûter à tout" je comprends ça, mais je crois que c'est un enfantillage. Axiome: tout & l'infini, c'est la même chose. Proposition: en présence de l'infini tous les nombres sont égaux, leur rapport avec l'infini s'exprimant par O. cela s'indique en mathématiques a/∞ = 0. - Sonde le profond symbolisme de tout ceci.
— Ah! petit cochon! tu es sur le point de commettre des infidélités à "Miss"[6] avec une "Burne-Jones".[7] J'ai dit à Alfred que tu lui allais écrire au sujet des Burne-Jones. Ça lui a rappelé les belles folies de sa jeunesse. A présent il blague désespérément ce pauvre ami: il se lève à 4 heures du matin. Mince! Voilà un régime qui ne me sourirait point.
A propos d'examen, si la chance me favorise je pourrais être dès le 16 ou le 17 juin à Bruxelles. En tous cas je reviendrai dans la deuxième quinzaine de juin. Ça me réjouit l'âme & autres viscères!! Je voudrais déjà rouler entre Namur & Bruxelles. Quel cri de soulagement je pousserai & comme nous allons être lyriques, hein? sur le quai de la gare du Luxembourg!
Allons, au revoir, je te serre consciencieusement les pattes. Je vais de tâcher de me débarrasser de la mélancolie qui monte de mon estomac à mon "âme immortelle". Est-ce que je ne pourrai jamais travailler à mon aise? Au revoir encore une fois: écris-moi tant que tu peux, jeune éphèbe dolent & pervers. Bien à toi
— Giacomo.
P[ost Scriptum] Confetti signifie en effet littéralement dragée en italien [6] ( Dictionnaire de M. l'abbé Annibal Antonini, abrégé du dictionnaire de la Crusca, Venise M.DCC.LII — Tu vois que je cite mes sources!)

Annotations

[2] Verschenen in een van de volgende nummers van La Nuova Rassegna (zie brief 42, noot 2), wellicht in nummer 6, van 26 febr. 1893. Het was een zondagsblad; Dwelshauvers die Vermeylen trouw op de hoogte houdt van zijn recente lectuur, zegt niets over een vervolg van d'Annunzio's novelle in brief 48 (20-26 febr. 1893). Waarschijnlijk moest hij zich het nieuwste nummer van La Nuova Rassegna toen nog aanschaffen en bleek dat dan het vervolg te bevatten.
[*] Variant op "flémingite aiguë".
[3] Niet teruggevonden.
[5] Zie brief 42 (passage van 17 februari.
[6] Miss Mousseline = Blanche Chalvignac. Zie ook brief 25 (passage van 26 januari.
[7] Zie ook brief 177 (1892) (excipit).

Register

Naam - persoon

Altmeyer, Maria Hortense (° Brussel, 1842-11-20 - ✝ Elsene, 1896-10-16)

Huisvrouw.

Echtgenote van Alfred Auguste Ernest Dwelshauvers , en jongste dochter van Jean Jacques Altmeyer. Ter verduidelijking: twee broers Dwelshauvers huwden dus met de twee zusters Altmeyer.

Annunzio, Gabriele D' (° Francavilla a Mare, 1863 - ✝ Gardone, 1938)

Politicus en schrijver.

Dwelshauvers, (Jean) Jacques (° Brussel, 1872-07-09 - ✝ Montmaur-en-Diois (Drôme), 1940-11-14)

Kunsthistoricus en militant anarchist.

Broer van Georges Dwelshauvers en gezel van Clara Köttlitz, met wie hij in 1897 een vrij huwelijk aanging. Deed beloftevolle studies aan het Koninklijk Atheneum Brussel (afd. Latijn-Grieks), waar hij A.Vermeylen leerde kennen. Studeerde 1890-92 natuurwetenschappen aan de ULB (diploma van kandidaat in juli 1892). Met een beurs van de Jacobsstichting vatte hij in oktober 1892 studies in de medicijnen aan te Bologna, samen met de latere geneesheren Herman Köttlitz en Alfred Walravens. Hij verliet Bologna in 1897, zonder de hele cyclus te hebben beëindigd.

In hetzelfde jaar begonnen de eerste strubbelingen met Gust Vermeylen, i.v.m. diens huwelijk met Gaby Brouhon en de strekking en inhoud van Van Nu en Straks. Het jaar daarop maakte hij een nieuwe reis naar Bologna en Bergamo. In het voorjaar van 1899 trok hij met Clara naar Firenze, waar hij zich voortaan geheel aan kunsthistorisch onderzoek wijdde, geboeid door de figuur van Botticelli en de kuituur van het Quattrocento. Hij zou in Firenze ook nog de toelating hebben gevraagd zich voor de eindexamens geneeskunde aan te bieden, maar legde die nooit af. Zijn verblijf in en om Firenze (afwisselend te Calamecca en te Castello), dat tot 1906 duurde, werd regelmatig onderbroken voor reizen naar het thuisland, en naar Parijs.

In 1899 werd te Antwerpen trouwens zijn zoon Lorenzo (Jean-Jacques Erasme Laurent) geboren (op de akte tekende o.m. Emmanuel de Bom als getuige), en het gezin was er officieel ingeschreven aan de Montebellostraat 3 tot 1906. In dat jaar, verhuisden zij naar Colombes bij Parijs (Boulevard Gambetta 46, niet-geregistreerde verblijfplaats). Dwelshauvers, die zich intussen Mesnil noemde (naar twee dorpjes bij Dinant, de geboortestad van zijn vaders familie), onderhield er nauwe contacten met de anarchistische en internationalistische beweging. Hij verdiende de kost met het schrijven van reisgidsen, eerst bij Hachette (o.a. de Guide Joanne - na W.O.I Guide Bleu - over Noord-Italië), nadien bij Baedeker.

Tussen 1910 en 1914 vestigde het gezin Mesnil zich te Alfort bij Parijs, waar - gezien zijn moeilijkheden met de geheime politie - evenmin een officiële inschrijving werd genoteerd. Jacques Mesnil stierf in niet opgehelderde omstandigheden te Montmaur, waar zijn zoon toen zou hebben gewoond; hij leed toen al enkele jaren aan een hart- en nierziekte waarvoor hij o.m. door dokter Schamelhout werd behandeld. Behalve aan Van Nu en Straks werkte hij nog mee aan Mercure de France, La société nouvelle, Ontwaking, Onze kunst, Revista d'Arte, Gazette des beaux arts, Burlington Magazine, de Parijse krant L'Humanité en het Italiaanse Avanti. Een bibliografie kan men terugvinden in de geciteerde bronnen.

Vermeylen, August. (° Brussel, 1872-05-12 - ✝ Ukkel, 1945-01-10)

Hoogleraar, kunsthistoricus en schrijver. Medeoprichter van Van Nu en Straks. Gehuwd met Gabrielle Josephine Pauline Brouhon op 21/09/1897.

Walravens, Alfred (° Tubize, 1872-11-15 - °)

Geneesheer.

Leerling aan het Brusselse atheneum met o.a. Vermeylen, De Raet, Dwelshauvers en Legros. Studiegenoot van J.Dwelshauvers, H.Koetlitz en A.Vermeylen aan de ULB. Verbleef van 1892 tot 1896 in Bologna met een Jacobsbeurs.