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Cher,
Un peu de retard déjà dans mes "écrits pour toi".. Que sais-je? mets de la paresse, de l'ennui, ce qu tu voudras. —
Aussi bien peu drôles sont mes choses à dire, si peu en les indigentes journées que je passe, ou plutôt trépasse ici. —
Plus esseulé dans les autres que jamais, les autres que je perds et qui s'en vont parallèlement, sans contacte; très dépareillé par ton absence. — Sais–tu, encore, les jours d'enthousiasme de naguère, mon pauvre vieux, où nous soulevames des mondes à des tables de café très malheureusement. —[2]
Cela s'en va, déjà, dans du très loin irrévocable, comme nous plus tristes aussi nous nous en allons à des meules nouvelles; et me revient tout ce cela plus amèrement en la veulerie canaille où je glisse, sevré d'orgeuil, mon Dieu peut[-]être bien parce que je ne me sens plus. —
Tu es las, aussi toi, mon pauvre berger, et bien las, ce me semble. Ne t'adresse pas à moi pour te reveler d'art, de coeur ou de peine, je suis trop putain pour cela. —
Et d'Elle dont tu parles pour finir, c'est une si vieille romance, si finie va, on dirait d'une chose antévécue, crevée comme une charogne, c'est de l'automne déjà. —[3]
Et j'envie, Cher, les autres, tu entends, tous les autres qui ne sont pas moi. —
De toi une chose m'étonne, "aimer les femmes pour le bien que elles nous font" — As–tu déjà rencontré des femmes qui t'ont fait du bien! Ta phrase se traduit même mal en moi avec cette transposition "supporter les femmes pour la jouissance qu'elles procurent". — Plus juste serait ceci: "aimer la jouissance et employer la femme comme instrument pour se la procurer". —
Les immatérielles j'en suis sûr sont de l'art bleu, fictives, et ne peuvent être en nous que sous une seule forme: inlinéée, mais sans position dans l'espace. —
De là à aimer il y a loin, et si tu t'es observé en ce point où d'après moi et sans paradoxe l'observation de soi même est complète, tu auras trouvé que l'amour est avant tout objectif et n'est que cela. —
D'autres choses: Mon Père et ma Soeur[4] filent demain pour Paris avec Mr. et M[ad]e[moise]lle. Melges. — Je vais donc à avoir à essuyer la mélancolie des repas pris seul, (tu connais cela) — Te dire que cela me peine beaucoup serait exagérer les choses, mais je suis entré dans un tel cercle d'accoutumances que le moindre changement dans mon glissement quotidien m'est à charge. —
Et toi, travaille mon vieux, la vérité est dans le travail, parce que c'est la croix la moins lourde à porter. Crois–tu point que l'impuissance (qui est mienne) n'est pas une autre douleur. —
Il ne faut pas raisonner les choses; l'à quoi bon, est sans issue, et je crois que [le] quand même tout supprêmement idiot que ce soit, vaut encore mieux. —
Tu vois où j'en suis; à m'éviter toute peine, toute douleur; non plus se vivre, mais se faire vivre.. par les autres!
Ton explication sur les chants de mes brutes au soir ne me satisfait point du tout. Où tu m'a pas compris, ou je me trompe sur la portée (très douloureuse à mon avis) de ces rhapsodies. —
Quoi que tu en dises, les villes sont des choses, superbes, au soir, pleines d'enchantements et de mystères incompris, et puis si grandes, si grandes, qu'on dirait les voir par l'un à un de leurs maisons. — C'est très effrayant les villes, (et c'est un sentiment profond qui entre pour la première fois en moi) c'est très effrayant parce que c'est tout plein d'hommes "d'homminalité" que l'on sent sans la voir. Ta campagne c'est trop simple, trop naturel, trop chose qui pousse; ce n'est pas assez méchant, et c'est pour cela que cela rend mauvais. —
Le pardon qu'elles vous donne, est celui des humbles, non celui de nos pairs en méchancetés, canailleries et égoismes. — A quoi bon l'absolution d'Abel, c'est celle de Caïn qu'il faudrait. — Puis (car je la sens à présent la ville, la petite ville) elle est en nous accrochée dans le meilleur de nos vertèbres, à la bonne place; suceuse de nos moelles; les meilleures, contemplations [,] nos vices, elle qui les crée. — C'est l'alma mater, la bonne nourrice qui torture les enfants, la faiseuse d'anges à terme que nous sommes, anges de pochardises, de débauches, de pignouffisme; c'est la mère dont nous sommes les procréateurs par un renversement bizarre mais juste de l'après signifiant l'avant et réciproquement.
Et ceci n'est point Théorie. Je t'assure que je sens quelque chose de très nouveau pour moi en cette contemplation unique de toits qui sont parce qu'ils doivent être et ne sont que parce que cela ne pourrait pas être autrement. —[5]
Personnellement je ne comprendrais par moi sans la ville, il y a là un rapport égoisme de nécessité que je voudrais te faire préssentir sans je crois, vu la subtilité de la chose, y pouvoir beaucoup. —
Je t'assure, cher vieux, que je suis entré, à ce sujet, dans un ordre de méditation bien, bien, étrange et que cela me hante beaucoup. —
Un besoin de savoir expliquer me tourmente et c'est bête, je comprends, mais d'une façon si diffuse, qu'au moindre effort le fil se brise en l'enchainement des causalités disparaît.
On me sonne à diner. Adieu
et Bien à toi
Max

Annotations

[1] De juiste datum kon niet worden achterhaald.
[2] Misschien een allusie op de gretigheid waarmee de beide vrienden tijdens hun schooljaren de sfeer van de Antwerpse havenbuurt in zich opnamen. Die sfeer wordt ook meesterlijk geëvoceerd in: Max Elskamp, La chanson de la rue Saint–Paul (Antwerpen, Buschmann, 1922). Die roman werd genoemd naar de straat bij de haven waar Elskamp was geboren. Zie Henry Van de Velde, De poëtische vorming van Max Elskamp (Antwerpen, De Nederlandsche Boekhandel, 1943), p. 15–17 en Henry van de Velde, Geschichte meines Lebens (Münster, R. Piper, 1962), p. 20–21.
[3] De lente van 1890 betekende volgens R. Guiette een periode van windstilte in de vijf jaren van obsessie en zelfkwelling (1887–1892), die Elskamp naar aanleiding van een diepe teleurstelling in de liefde doormaakte. Zie R. Guiette, Max Elskamp (Parijs, P. Seghers, 1955), p. 36–37, alsook Henry van de Velde, De poëtische vorming van Max Elskamp (Antwerpen, De Nederlandsche Boekhandel, 1943), p. 23–29 en M. Schiltz, La vie tourmentée de Max Elskamp (Antwerpen, Ça ira, 1937), p. 10.
[4] Louis Elskamp en Max' jongere zus Marie, die in 1903 op tragische wijze om het leven is gekomen.
[5] thema van de contemplatie van de daken komt meerdere malen voor in de poëzie van Max Elskamp. C. Berg wijst in dat verband op de affiniteit tussen Max Elskamp en Henri de Braekeleer (zie o.m. diens 'Man aan het vesnter'), van wie de kunst volgens Elskamp "a correspondu toujours à mon idéal d'art". Zie zijn brief aan Guiette, geciteerd in: C. Berg, Quinze années d'activité littéraire française à Anvers (1873–1888) (Gent, Rijksuniversiteit licentiaatsverhandeling, faculteit letteren en wijsbegeerte, sectie Romaanse filologie, 1967), p. 176.
Voor het verband tussen Max Elskamp en Henri de Braekeleer, zie dezelfde licentiaatsverhandeling, p. 176–182 en C. Berg, Max Elskamp et le Bouddhisme (Nancy, Centre européen universitaire, 1969), p. 12.

Register

Name - person

Braekeleer, Henry De (° Antwerpen, 1840-06-11 - ✝ Antwerpen, 1883-07-20)

Schilder en etser.

Elskamp, Max Antoon Maria (° Antwerpen, 1862-05-05 - ✝ Antwerpen, 1931-12-10)

Schrijver. Volkskundige. Stichter van het Volkskundemuseum te Antwerpen.

Melges, Guillaume-pierre (° Antwerpen, 1836-10-20 - ✝ Antwerpen, 1909-08-23)

Was in 1890 rentenier.

Woonde evenals Max Elskamp en zijn vader aan de Leopoldlei (thans Belgiëlei) te Antwerpen.

Melges

Mogelijk een der vijf zusters van Guillaume-Pierre Melges: Henriette Anna Wilhelmina (Amsterdam 02/06/1826 - Antwerpen 14/11/1895), Elodie Adrienne Victoire (Antwerpen 04/06/1828 - Aldaar 08/06/1922), Adrienne Marie Louise (Antwerpen 23/07/1833 - Merksem 24/09/1911), Adèle Marie Louise (Antwerpen 16/03/1838 - Aldaar 19/12/1913), Elisa Antoinette Adèle (Antwerpen 30/10/1842 - Aldaar 04/03/1928). Ze bleven allen ongehuwd en woonden in de Lange Gasthuisstraat 39 te Antwerpen.

Velde, Henry Clemens Van De (° Antwerpen, 1863-04-02 - ✝ Zürich, 1957-10-25)

Architect, schilder, sierkunstenaar en essayist. Medeoprichter van Van Nu en Straks. In 1894 gehuwd met Maria Sèthe.

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